- BARTOLOMEO DELLA PORTA (FRA)
- BARTOLOMEO DELLA PORTA (FRA)Baccio della Porta, devenu frère Bartolomeo della Porta, doit sa fortune et sa renommée plus à ses contemporains qu’à lui-même. Lié à Savonarole, il nous en a laissé un portrait saisissant (1497, couvent de Saint-Marc, Florence). Contemporain des plus grands peintres, il a su utiliser leurs découvertes. Ici, on reconnaîtra la construction rigoureuse de Piero di Cosimo, là, la ligne de Filippino Lippi, ailleurs, le trait de Vinci. Que reste-t-il de Fra Bartolomeo? Une rhétorique picturale?Un art de dévotionSelon Vasari, Fra Bartolomeo della Porta vécut de 1475 à 1517; sa carrière se divise en trois périodes. Élève du peintre Piero di Cosimo, il travaille au couvent de Saint-Marc à Florence. Là, il se lie à Savonarole, dont il partage les opinions iconoclastiques: peintre d’avenir, il brûle ses propres œuvres sur le bûcher où, en 1497, Savonarole détruit les images impies. Ce dernier est exécuté en 1498; Fra Bartolomeo se retire hors de Florence, devient frère dominicain et veut oublier à jamais la peinture. Sollicité par les frères du couvent de Saint-Marc, il accepte de peindre à nouveau et se lie avec Raphäel. Il voyage à Rome et à Venise, et connaît les œuvres de ses glorieux contemporains. De retour à Florence, il se consacre entièrement à sa tâche de peintre de l’ordre dominicain, jusqu’à sa mort en 1517.Le thème des œuvres de Fra Bartolomeo est constant: la méditation religieuse occupe tous ses tableaux. Ainsi la Vierge, la Nativité et les saints sont les uniques objets de sa peinture (cf. entre autres Madone de la miséricorde , 1516, Pinacothèque de Lucques; Mariage de sainte Catherine , 1512, palais Pitti, Florence). Fra Bartolomeo est un illustrateur consciencieux et précis, qui se méfie du trop grand pouvoir de l’imagination; c’est en cela surtout qu’il reste fidèle à Savonarole. Cette réserve apparaît dans les deux manières du peintre: l’une tend à émouvoir par sa simplicité, l’autre à convaincre par sa puissance et sa rhétorique. La première apparaît dans des scènes de Nativité ou de Pietà dont l’économie est constante: un personnage central (Christ, Madone avec l’Enfant Jésus) qu’entourent un ou deux saints ou saintes. Les visages de ces personnages semblent emprunter leur finesse à tel ou tel tableau de Filippino Lippi ou de Vinci, ils se dégagent mal d’un fond neutre et plat ou d’un décor qu’enveloppe une lumière obscure et diffuse (sfumato ), bien dans la manière de Vinci. Ces œuvres sont le plus souvent préparées par des dessins qui font immanquablement penser au meilleur Vinci. Là, le tracé des contours permet une finesse qui semble disparaître quand on passe de l’esquisse à l’œuvre peinte, car, dans la toile achevée, personnages, lumière et fond s’organisent avec difficulté.Une peinture rhétoriqueL’autre manière de Fra Bartolomeo, qui connut de son vivant un large succès, est une rhétorique codifiée. Peu à peu, le dominicain a formé une argumentation picturale qui est devenue le nervus probandi de son œuvre. Il adopte alors un style d’une grandiloquence toute particulière. Ses sujets sont des célébrations: gloire de la Madone, mariage mystique de saints. Leur architectonique est toujours la même. Au fond, une abside très profonde et concave qui permettra aux personnages de se détacher; en haut, un baldaquin que découvrent des angelots ou putti , disposés symétriquement et opposés deux à deux; au centre, la Vierge et l’Enfant forment un triangle; puis, autour, le groupe des saints, saintes et Pères de l’Église qu’on peut inscrire dans un trapèze dont la base constitue le premier plan du tableau. On note ici une violente opposition des attitudes, un contraposto très prononcé. Les couleurs accentuent ces oppositions par de violents contrastes de valeurs. Sept, au moins, des œuvres de Fra Bartolomeo sont construites sur ce même schéma. C’est là sans doute la preuve qu’il était tout à fait conscient du rôle didactique de sa peinture; il voulait ainsi convaincre le fidèle et le spectateur de la toute-puissance de la foi incarnée dans ces figures picturales. Il restait donc fidèle à Savonarole et à sa rhétorique de l’élévation spirituelle. Cette rhétorique est le point d’aboutissement d’une longue tradition de l’ordre dominicain. Depuis la peste de 1348, en effet, l’ordre a bousculé l’esprit franciscain qui régnait à Florence. Et cette implantation s’est traduite par la présence de trois bastions: l’église Sainte-Marie-Nouvelle, l’église Or San Michele et le couvent de Saint-Marc. Les bûchers, les condamnations, les excommunications ne datent pas de Savonarole. Mais l’éclosion de la Renaissance et le nouvel ordre social ont obligé les domini canes à composer avec le nouveau mode de représentation: alors que les peintres de la seconde moitié du XIVe siècle (Orcagna, la chapelle des Espagnols) produisent des œuvres volontairement archaïsantes, glorifiant allégoriquement l’ordre et son pouvoir séculier, Fra Bartolomeo accepte les nouvelles inventions et cherche avant tout à manifester la grandeur éternelle de la foi; cette modération de l’esprit dominicain se manifeste aussi dans la place modeste laissée au saint fondateur dans l’œuvre de Fra Bartolomeo: aucun tableau ne lui est exclusivement consacré, ses attributs traditionnels (l’étoile, comme chez Fra Angelico, ou le chien) n’apparaissent jamais. Dans les tableaux, saint Dominique n’est plus qu’un saint mêlé aux autres, il apparaît dans l’habit de l’ordre qu’il a fondé et désigne du doigt l’objet vénéré, montrant par là son statut de prédicateur.
Encyclopédie Universelle. 2012.